Saint-François de Sales
Introduction à la vie dévote
chapitre XXX : Des désirs
Chacun sait qu’il se faut garder du désir des choses vicieuses, car le désir du mal nous rend mauvais. Mais je vous dis de plus, ma Philothée, ne désirez point les choses qui sont dangereuses à l’âme, comme sont les jeux et tels autres passe-temps, ni les honneurs et charges, ni les visions et extases, car il y a beaucoup de péril, de vanité et de tromperie en telles choses.
Ne désirez pas les choses fort éloignées, c’est-à-dire qui ne peuvent arriver de longtemps, comme font plusieurs, qui, par ce moyen, lassent et dissipent leurs cœurs inutilement et se mettent en danger de grande inquiétude. Si un jeune homme désire fort être pourvu de quelque office avant que le temps soit venu, de quoi lui sert ce désir? Si je désire d’acheter le bien de mon voisin avant qu’il soit prêt à le vendre, ne perdé-je pas mon temps en ce désir? Si, étant malade, je désire prêcher ou dire la sainte messe, visiter les autres malades et faire les exercices de ceux qui sont en santé, ces désirs ne sont-ils pas vains, puisqu’en ce temps-là il n’est pas en mon pouvoir de les effectuer?
Et cependant ces désirs inutiles occupent la place des autres que je devrais avoir d’être bien patient, bien résigné, bien mortifié, bien obéissant et bien doux en mes souffrances, qui est ce que Dieu veut que je pratique pour lors. Je n’approuve nullement qu’une personne attachée à quelque devoir ou vacation s’amuse à désirer une autre sorte de vie que celle qui est convenable à son devoir ni des exercices incompatibles à sa condition présente; car cela dissipe le cœur et l’alanguit dans ses exercices nécessaires.
Si je désire la solitude des Chartreux, Je perds mon temps, et ce désir tient la place de celui que je dois avoir de me bien employer à mon office présent. Non, je ne voudrais pas mêmement que l’on désirât d’avoir meilleur esprit, ni meilleur jugement, car ces désirs sont frivoles et tiennent la place de celui que chacun doit avoir de cultiver le sien tel qu’il est, ni que l’on désirât les moyens de servir Dieu que l’on n’a pas, mais que l’on employât fidèlement ceux qu’on a. Or cela s’entend des désirs qui amusent le cœur; car, quant aux simples souhaits, ils ne font nulle nuisance, pourvu qu’ils ne soient pas fréquent. Ne désirez pas les croix, sinon à mesure que vous aurez bien supporté celles qui se seront présentées
car c’est un abus de désirer Je martyre. et n’avoir pas Je courage de supporter une injure. L’ennemi nous procure souvent de grands désirs pour des objets absents et qui ne se présenteront jamais, afin de divertir notre esprit des objets présents, desquels, pour petits qu’ils soient, nous pourrions faire grand profit. Nous combattons les monstres d’Afrique en imagination, et nous nous laissons tuer en effet aux menus serpents qui sont en notre chemin à faute d’attention. Ne désirez point les tentations, car ce serait témérité ; mais employez votre cœur à les attendre courageusement et à vous en défendre quand elles arriveront.
La variété des viandes, si principalement la quantité est grande, charge toujours l’estomac; et, s’il est faible, elle le ruine. Ne remplissez pas votre âme de beaucoup de désirs, ni mondains, car ceux-là vous gâteraient du tout, ni même spirituels, car ils vous embarrasseraient. Quand notre âme est purgée, se sentant déchargée de mauvaises humeurs, elle a un appétit fort grand des choses spirituelles, et, comme, tout affamée, elle se met à désirer mille sortes d’exercices de piété, de mortification; de pénitence, d’humilité, de charité, d’oraison. C’est bon signe, ma Philothée, d’avoir ainsi bon appétit ; mais regardez si vous pourrez bien digérer tout ce que vous voulez manger.
Choisissez donc, par l’avis de votre père spirituel, entre tant de désirs, ceux qui peuvent être pratiqués et exécutés maintenant, et ceux-là faites-les bien valoir; cela fait, Dieu vous en enverra d’autres, lesquels, aussi en leur saison, vous pratiquerez, et ainsi vous ne perdrez pas le temps en désirs inutiles. Je ne dis pas qu’il faille perdre aucune sorte de bons désirs, mais je dis qu’il les faut produire par ordre; et ceux qui ne peuvent être effectués présentement, il les faut serrer en quelque coin du cœur, jusqu’à ce que leur temps soit venu, et cependant effectuer ceux qui sont mûrs et de saison ; ce que je ne dis pas seulement pour les spirituels, mais pour les mondains; sans cela nous ne saurions vivre qu’avec inquiétude et empressement.
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